l’histoire de la plaça de George Orwell est digne d’un conte de fée urbain! Patrimoine, corruption et tourisme
Plaça George Orwell AKA Place du Trip
Au bout de la calle Escudellers, petite rue sombre et sinueuse, bruyante et colorée du quartier Gòtic, on débouche sur la Place George Orwell…à deux pas de la Plaça Reial et de la rue (carrer) Avinyó.
…ET LA LUMIÈRE FUT!
La place est née en pleine effervescence pré-olympique. En effet, nominée aux JO d’été en 1986, Barcelone est entrée dans une période de profonde transformation. La vieille-ville (Ciutat Vella) de Barcelone (Barrio Chino, Gòtic, Ribera/Born et Barceloneta) était un des centres urbains les plus denses d’Europe, avec toutes les conséquences que cela pouvait engendrer: insalubrité, nuisance sonore, etc…
La place est donc née là où trônait un immense immeuble triangulaire dont la démolition eu lieu en 1988. Les travaux ont pris fin deux ans après: un espace en ciment et en dalles de granit, sans arbres et sans bancs, était né.
Au cours de ses 6 premières années d’existence, la place n’avait pas de nom officiel et a donc été populairement baptisée Place du Trip (plaça del tripi), se référant visiblement à l’ambiance plutôt festive qui régnait du matin jusqu’…au matin suivant, etc… mais aussi en référence à l’oeuvre surréaliste du sculpteur Cristófol Leandre, communément appelée ‘el tripi’ et dont nous reparlerons par la suite.
Serait-ce la place qui a attiré cette faune plutôt excentrique? A en croire certaines vidéos qu’on trouve sur Youtube, les Illuminatis auraient pris d’assaut et à coup de symboles cet espace urbain!
Il faut rappeler que la mairie de Barcelone, afin d’éviter les badauds et les nomades, décida de ne pas y mettre de bancs publics, ce qui évidemment conduisit à ce que ces derniers s’assoient par terre ou sur les marches qui formaient la place. Et oui!…formaient…puisque la place a été nivelée.
Vers la fin des années 90, avant que les touristes ne s’accaparent de Barcelone, la place était donc un lieu de rendez-vous pour les paumés, les ‘borrachos’ et autres phénomènes sociaux. Les nuits étaient bruyantes et alcoholisées et les voisins ont réclamé une intervention urbanistique afin d’éviter les agglomérations nocturnes et autres bagarres.
DU TRIP À 1984
En 1996, le conseil municipal a décidé de donner à la place le nom de George Orwell (1903-1950). Cet écrivain britannique est passé à plusieurs reprises par Barcelone entre 1936 et 1937 et est devenu militant du POUM (Parti Ouvrier Marxiste), venant à se battre sur le front dans le camp républicain. Notre cher George a par la suite retranscrit ces expériences dans son fameux ouvrage «Hommage à la Catalogne» où il dépeignait les Ramblas et ses environs de manière très éloquente. Orwell méritait sans aucun doute une place dans le centre historique de la ville!
Malgré le nom officiel, son surnom populaire est toujours d’usage, d’ailleurs ni les taxis ni leur GPS ne savent où se trouve la place George Orwell…
Un article du ‘Períodico de Catalunya’ fait un bon résumé de la dégradation de cet espace:
Située en plein cœur du quartier gothique, la Place a -depuis sa naissance- été un foyer de conflit où la saleté et le bruit, renchéris par la vente ambulante d’alcool (botellón=consommation d’alcool dans la rue), ne faisaient pas la joie du voisinage. ‘Les escaliers qui forment la place sont un cauchemar pour le quartier, puisqu’ils attirent une jeunesse dont l’excès est lié à la boisson alcoolisée, mais aussi des groupes de nomades qui y passent la nuit. Bagarres, drogue et saleté sont une constante dans le voisinage ( … ) la sculpture centrale de Cristófol sert de pissotière, bien qu’à seulement quelques mètres de là se trouve des toilettes publiques qui n’ont jamais servi’
Pour lutter contre les ‘comportements antisociaux et l’insécurité’ (termes utilisés par la mairie consciente de l’enjeu touristique), la mairie installa en 2001 deux caméras de surveillance vidéo, devenant ainsi le premier espace public de la ville sous surveillance policière 24h sur 24…une pratique que le conseil municipal a ensuite propagé à d’autres espaces, conflictuels ou non.
1984 et Big brother vous observent:
Malgré cela, un rapport municipal de 2009 mettait la place George Orwell entre les trois ‘hotspots’ (points chauds) de la vieille-ville.
En 2011, dix ans après l’installation de la vidéosurveillance, la mairie a procédé à un réaménagement de l’espace consistant à l’élimination des marches et à l’amélioration de l’éclairage public. Des arbres et une aire de jeux ont été installés afin d’attirer les familles et les habitants du quartier. Les terrasses de café (au moins 5) alimentent cette ambiance de vie-dans-la rue, typique de Barcelone: musiciens, badauds et touristes cohabitent…sous surveillance!
LE MONUMENT
A l’entrée de la place, depuis la rue Escudellers, se dresse la reproduction d’une œuvre surréaliste de Leandre Cristòfol. Il porte le titre générique de Monument, mais est donc populairement connu comme ‘le tripi’.
L’œuvre originale, de 2 mètres de haut, a été réalisé par l’artiste en 1935 et est conservée au Musée National d’Art de Catalogne (MNAC). Cette réplique de 8 mètres est une composition de béton blanc, tube d’acier et de bois qui lui donne un aspect de simplicité et d’élégance.
Selon le critique d’art Francesc Miralles, cette œuvre est un hommage aux femmes puisqu’on devine un sein élevé par ce tube d’acier, téton pointant vers les cieux… Plutôt osé pour l’époque! D’autre y voit un œil et une oreille stylisée et tendue afin d’écouter les rumeurs et les conspirations qui se trament sur la place…
la crise économique, la crise immobilière et la faillite bancaire
Ce qui étonne, à première vue, c’est le contraste entre les immeubles abandonnés et les édifices restaurés selon les règles de l’art. Sur les 9 d’immeubles qui encadrent la place on pouvait compter en 2014: 1 complètement abandonné et 1 autre dont les fenêtres du 1er étage sont cloisonnées, 3 récemment remodelés et le reste en plus ou moins bon état.
pourquoi tant d’IMMEUBLES MURÉS?
Plusieurs hypothèses peuvent être émises quant aux édifices murés:
· Un incendie…peu probable!
· Des propriétaires qui ne peuvent se mettre d’accord (histoire de famille déchirée etc.)…peut-être!
· La bulle immobilière…on s’approche, on s’approche!
Il faut ici expliquer que de nombreuses familles se sont retrouvées à la rue, ne pouvant faire face à l’augmentation délirante du taux (variable) de leur hypothèque. Le contre-coup des Subprimes et d’une gestion néolibérale vraiment malhonnête! Ça s’est passé en 2007…les banques accordaient des crédits à l’hypothèque sur 40 voir 50 ans sans demander aucune garantie, ni faire une étude de viabilité.
Barcelone était devenue une ville sexy (plages, Barça, Gaudi et cie) pour tout le monde sauf pour ses autochtones! Le résultat était clair: la famille en pouvant faire face à cette augmentation, souvent accompagnée de la perte de l’emploi d’un des deux adultes, doit rendre les clés de leur appart, propriété de la banque!
Pour finir, les banques ont fait faillite en 2009 et se retrouvent aujourd’hui avec un nombre incroyable de logements invendus….et sont donc en train de les brader, probablement au prix de l’hypothèque initiale de la famille qui a tout perdu.
· Les squatteurs aka Okupas…yes!
Ils sont généralement la raison pour laquelle de nombreux immeubles sont cloisonnés. Les squatteurs étaient peu nombreux avant la crise: du punk revendicateur à l’artiste qui cherche un espace de création, l’okupa (le squat) pouvait durer plus de 3 ans avant un premier procès…
Durant la crise économique et financière de 2007, Madrid ayant mis en place une loi (desahucio exprés=expulsion express) permettant d’évincer, de manière expéditive et sans autre forme de procès que la police, sa matraque et une autorisation judiciaire en main, les occupants non désirés…bref, en quelque mois, voir quelques jours, l’immeuble ou l’appart squatté se retrouve vidé, muré, abandonné!
Le profil du squatteur a évidemment aujourd’hui beaucoup changé et c’est la conséquence logique de la crise immobilière: 80.000 logements vides sur la capitale catalane et de nombreuses personnes, couples, familles (plus de 300.000 expulsions depuis 2008) qui sont retournés -avec un peu de chance- chez leur parents.
Il ne s’agit plus de délinquance mais bien de revendication sociale et de droit au logement…
Quelques chiffres pour mettre les pendules à l’heure espagnole:
En 2013, le prix moyen d’un appartement dans le centre historique peut osciller à l’achat entre 2.500 et 6.000€/m2 en fonction de l’état de l’immeuble et de son orientation. Un appart de 70m2 en bonne condition peut coûter jusqu’à 500.000 euros.
En location, un appartement de 80m2 dans le secteur peut coûter entre 700 et 1000€/mois. Les prix varient énormément d’une rue à l’autre, d’un étage à l’autre etc.
Le salaire minimum interprofessionnel en Espagne en 2013 était de 645€/mois…
Le nombre d’hypothèques a baissé de 53% en 2013
6 millions de chômeurs déclarés en 2013
Un bijou convoité
Toujours cloisonné en 2015, l’immeuble qui se situe au numéro 44 de la place George Orwell est singulier de par son histoire.
L’esgrafiat (le sgraffite italien) est en effet un revêtement mural décoratif, originairement fait d’un mélange de sable fin, de chaux et de pigments ocre, dont les couches, plus ou moins épaisses, donnent les différents tons et couleurs au dessin.
Actuellement on utilise des matériaux moins nobles mais beaucoup plus résistants aux intempéries.
L’esgrafiat de ce bâtiment date de 1769 et a été restauré en 1998 par une école spécialisée, mais l’humidité a corrompu les charmes et les détails du filigrane. On distingue pourtant deux figures qui pourraient être Hermès avec un petit chien et Aphrodite lui faisant face.
Ce bâtiment a récemment été racheté par le grand groupe d’investisseur Israélien Norvet. Nous avons écrit tout un article à son sujet
La place George Orwell est vraiment typique du centre de Barcelone: terrasses de bar, touristes lambda et autres spécimens du quartier, immeubles abandonnés qui côtoient un bâtiment récemment rénové…bref, ces fameux CONTRASTES qui font de Barcelone une cité unique et étrange à la fois.