L’histoire du mètre
Le saviez-vous? Dunkerque, Paris et Barcelone se trouvent exactement sur la même longitude, et la distance entre Dunkerque et Barcelone a permis de déterminer la longueur de la méridienne entre le pôle nord et l’équateur. La dix millionième partie de cette dernière mesure représente notre mètre universel.
Contexte historique
En France et jusqu’en 1790, les seigneurs déterminaient la valeur des poids et mesures sur ses terres ; plus de 250 000 mesures possibles qui compliquaient les échanges commerciaux. Ainsi, en ce qui concerne les mesures de distances, on utilisait dans le nord tantôt les pouces ou les pieds (comme en Angleterre) et vers le sud, on employait la longueur d’une perche. À Paris c’était les toises et les lieues. Ces dernières n’avaient d’ailleurs pas la même mesure selon qu’on se trouvait ici ou là…
Malgré différents essais pour imposer une nouvelle unité de distance, il faut attendre la volonté et la force de l’assemblée nationale constituante révolutionnaire pour imposer un nouveau système.
C’est en 1793 que la décision est prise (par Lavoisier et Condorcet entre autres) de calculer une mesure stable et universelle en corrélation avec le méridien de la Terre et, le 18 germinal de l’an III (7 avril 1795) est précisé que la mesure sera l’équivalent de la dix-millionième partie du quart de l’arc méridien compris entre le pôle et l’équateur (le méridien était alors considéré comme faisant le tour de la Terre)
Méchain et Delambre
Deux savants, Pierre Méchain et Jean Baptiste Delambre, mathématiciens et astronomes de formation, sont chargés d’effectuer des mesures géodésiques en partant de l’observatoire de Paris et en allant vers le nord et vers le sud en ligne droite, perpendiculairement à l’équateur. Delambre se chargea des calculs de triangulation plane, entre Paris et Dunkerque puis Paris-Rodez, alors qu’il incombait à Méchain d’effectuer les mesures entre Barcelone et Rodez.
Delambre et Méchain vont tarder 7 ans alors que l’expédition était censée durer un an à peine. Il faut rappeler que le contexte historique de la révolution, la défiance populaire contre la science, les tumultes et les guerres contre les armées antirévolutionnaires d’Autriche et d’Espagne n’ont pas simplifié la tâche des deux scientifiques.
L’expédition
Cette aventure n’aurait pas été possible sans un instrument de mesure très important: le cercle répétiteur inventé par le chevalier de Borda et Etienne Lenoir et qui permettait de calculer les angles à la seconde près.
Nos 2 géomètres ont effectué des centaines de milliers de mesures, en prenant les repères des étoiles, des clochers d’églises et des obélisques astronomiques qui avaient été construits à cette occasion. Tout ce précieux matériel était transporté en calèche puis à dos d’homme pour gravir les montagnes ou grimper aux clochers et prendre les repères nécessaires. Afin de mieux s’imaginer le périple de Méchain et Delambre, regardez cet excellent documentaire sur Arte: Un mètre pour mesurer le monde
L’erreur de Méchain à Barcelone
Méchain calcula la latitude de Barcelone depuis la Citadelle de Montjuic et envoya ses calculs à Paris. Peu de temps après, puisque immobilisé en ville, il décida de refaire ce calcul depuis la terrasse de son hôtel. Il se rendit alors compte qu’il avait fait une erreur: il découvre une anomalie de 2 secondes d’arc, soit 0,229mm.
Il en devient complètement obsédé mais décida de ne pas la communiquer à ses pairs. Il manipula tous ces registres afin de la rendre invisible et refusa d’envoyer ses calculs à Paris, où il rentrera finalement en 1799. Le mètre est officiellement instauré comme mesure universelle le 19 frimaire an VII (10 décembre 1799).
Méchain décida de retourner en Espagne pour refaire ses calculs mais il y mourut de la fièvre jaune en 1804. Delambre récupéra les nouveaux registres en 1806 et s’aperçut de l’erreur de calcul de son collègue.
Le mètre étalon est donc trop court de 0,2 millimètres, mais cette erreur aura révolutionné la manière de penser les sciences! Car de vouloir faire un calcul rigoureusement exacte, les scientifiques se sont rendus compte que la perfection n’existe pas : 1-la courbature de la terre n’est pas la même en tout point. 2-l’erreur est humaine. Une belle leçon fut ainsi apprise et permit d’introduire la probabilité et les statistiques dans l’interprétation des résultats scientifiques.
L’avenue méridienne de Barcelone
Ildefons Cerdà est le grand urbaniste qui a radicalement transformé la ville de Barcelone avec son ingénieux plan d’expansion (le quartier de l’Eixample) en 1859. Il a utilisé la topographie naturelle de la ville qui s’est étendue de la mer vers la colline de Collserola.
Le Nord et le méridien de Paris qui passe à Barcelone sont représentés par l’avenue Méridienne. Le tracé de la Méridienne (nord-sud), dans sa prolongation, coïncide avec l’avenue Parallèle (axe est-ouest) au niveau de la Torre del rellotge, sur le vieux port de Barcelone.
En 1993, pour célébrer les 200 ans du mètre à Barcelone, une plaque a été posé sur la tour du château militaire de Montjuic sur laquelle on peut lire : “De cette tour, l’astronome Pierre Méchain au cours des années 1792-1793 a établi les coordonnées de Barcelone et la triangulation pour la mesure de l’arc méridien qui a servi de base au système métrique décimal. Ville de Barcelone, année 1993, bicentenaire de la mesure du méridien de Dunkerque à Barcelone.”
Si vous voulez en savoir plus, Ken ALDER a écrit un livre passionnant sur ce sujet: “Mesurer le monde. 1792-1799 : l’incroyable histoire de l’invention du mètre” (Paris, Flammarion, 2005). Il est le premier à avoir décortiqué les archives et à avoir refait tous les calculs de Delambre et Méchain!
https://editions.flammarion.com/mesurer-le-monde/9782081307612
