Est-ce qu’il est facile de pédaler à Barcelone aujourd’hui? Histoire d’une révolution douce
Les débuts de l’aventure vélocipédique
Lorsqu’on se balade aujourd’hui à vélo dans Barcelone pour la première fois, on a du mal à imaginer qu’il y a une quinzaine d’années cela aurait presque paru incongru…
En effet, le « boom du vélo urbain » est plutôt récent: la crise économique de 2009 ayant beaucoup contribué a l’essor du vélo en ville. Pourtant, les conditions sont réunies depuis longtemps pour faire de Barcelone la métropole vélocipède qu’elle est aujourd’hui.
La voiture, Maître incontestée des villes
Barcelone a certes un climat agréable, c’est une ville à dimensions humaines avec peu de dénivelé dans de nombreux quartiers…mais, pédaler n’était pas dans les moeurs: la voiture et les motos avaient le monopole des rues. Comme beaucoup de choses ici, une partie de l’explication se trouve dans les 40 ans de dictature fasciste du général Franco: de 1939, fin de la guerre «civile» espagnole, jusqu’à sa mort, dans son lit, en 1975.
Les familles attendaient longtemps avant de pouvoir économiser suffisamment pour s’acheter une automobile, il fallait être sur une liste d’attente…et on se faisait livrer son pot de yaourt «Seat 600» au bout d’un an ou plus. C’était alors le symbole de la liberté, toute la marmaille en voiture et hop, direction la Costa Brava…
le vélo c’est ringard! Vacances au village
La bicyclette était «réservée» aux gamins en vacances au village. La fameuse série télévisée des années 80 (devenue culte), « Verano azul », en offre un bon témoignage.
À part les enfants, le vélo passionnait les foules lors du Tour de France ou de La Vuelta de España, Indurain était un grand champion, le Bernard Hinault ibérique. Mais quant à prendre un vélo pour aller au travail ou à l’école, que nenni!
La France n’était pas non plus la Hollande sur ce plan-là, mais tout de même, nombreuses étaient les familles possédant des bicyclettes pour chacun de ses membres. Jetez un oeil dans vos garages ou ceux de vos parents ou grands-parents, vous y trouverez à coups sûrs un vieux bicloune Peugeot, Motobécane ou Gitane qui y traîne…
Un climat propice
Mais revenons au climat et la à topographie avant de s’attacher aux causes de l’essor du vélo à Barcelone dans les années 2010.
Avec plus de 300 jours de soleil à l’année, nous bénéficions d’un climat méditerranéen: chaud en été, pas trop froid en hiver (moyenne de 16 degrés sur l’année) et gros orages en fin d’été. Bref, plutôt bien pour pédaler!
Toutefois, le climat ne dicte pas forcément le comportement vélocipédique des gens, il n’y a qu’à voir la Hollande, le Danemark ou l’Allemagne: ça pédale dans tous les sens et sous tous les cieux…
La topographie
Le centre-ville est construit sur le Mont Tàber, 17 m d’altitude (16,9 pour être précis)…C’est à son sommet que la ville romaine, Barcino, a été fondée vers 14 avant J-C. Bien sûr, la ville s’est agrandie considérablement au cours des siècles : le long de la côte, mais aussi vers les collines avoisinantes. Les dénivelés sont faibles dans tous les quartiers proches de la côte, c’est-à-dire, dans plus de la moitié de la ville.
Découvrir la fameuse Sagrada Familia est chose aisée, ça monte un peu certes, mais rien d’extraordinaire. Pour se rendre au Parc Güell, c’est un peu plus ardu, mais tout à fait faisable. Par contre, pour aller au château de Montjuïc ou sur le Mont Tibidabo, là oui, il faut du mollet!
La colline de Montjuïc surplombe le sud de la ville, on y trouve des parcs, des jardins botaniques, des installations sportives (Jeux Olympiques de 1992), la Fondation Joan Mirò, le Musée National d’Art Catalan… et, tout en haut, un château. La vue y est splendide.
Le Tibidabo domine toute la ville, il s’agit d’une sorte de Sacré Coeur couronnant le petit massif montagneux (appelé Collserola) qui longe la côte, à quelques kilomètres à l’intérieur des terres. Un vrai plaisir pour les amateurs de VTT et à deux coups de pédale de la ville. À 512 mètres d’altitude, le Tibidabo est le point le plus élevé de Barcelone, le panorama y est impressionnant.
Le vélo qui fait «BOOM »
Après des années de règne exclusif du moteur à explosion, le vélo s’est ouvert son grand bonhomme de chemin. En 2003 on comptabilisait un peu plus de 31 000 déplacements quotidiens en vélo, en 2011, plus de 100 000, soit 1,36 % des déplacements. On est bien loin des 30% de certaines grandes villes européennes du nord, of course, mais l’augmentation a été rapide et massive. De nombreux éléments en sont la cause.
Les précurseurs
Depuis le début des années 90, des associations locales (Biciclot, Amics de la Bici, BACC) luttent pour faire changer la perception du vélo en ville auprès de la population. Elles essaient d’encourager la pratique de ce moyen de transport en soulignant que ce n’est pas un problème mais une solution face aux embouteillages, à la pollution (Barcelone est une des villes européennes les plus polluées) et au sédentarisme…
Pour cela, elles empruntent plusieurs voies : sensibilisation auprès des plus jeunes (débats, ateliers de mécanique, sorties de classes en vélo), création d’une sorte de lobby cycliste qui fait pression sur la mairie (pour la construction de pistes cyclables, de parkings), manifestations, articles d’opinion dans les journaux…
Tous les premiers vendredi de chaque mois est organisée une «Massa Critica»,«Vélorution» en français. Il s’agit d’une manifestation de cyclistes, de caractère très libre, pouvant réunir quelques centaines ou quelques milliers de personnes circulant dans la ville durant quelques heures et revendiquant le fait qu’elles ne gênent pas le traffic puisqu’elles SONT le traffic.
De pistes cyclables à réseau cyclable
En 1992, pour les Jeux Olympiques, Barcelone a commencé à se doter de pistes cyclables. On en comptabilise aujourd’hui environ 300 km. Ces infrastructures sont indispensables pour que les gens osent utiliser leur vélo, le trafic barcelonais n’invitant pas trop les néophytes à se lancer…
Le développement de ce réseau de pistes cyclables n’a pas été planifié et s’est fait au coup par coup, sans réflexion, au gré des élections municipales. Il en résulte de nombreux «types» de pistes différents: séparées des voitures par des bornes en caoutchouc, ou par un muret en béton, ou par une ligne de peinture, deux lignes blanches sur le trottoir.
Mais petit-à-petit et surtout dernièrement, il y a eu une vraie volonté politique de faire avancer les choses. Aujourd’hui presque toutes pistes cyclables coïncident et permettent de former un grand réseau cyclable!!
Bicing
Au début de l’année 2007, est apparu le « Bicing » , service de bicyclettes mis en place par la mairie, (sur le modèle du Vélo’v lyonnais, installé lui en 2005). Très économique, ce fût un succès immédiat, 50% des déplacements en vélo se font aujourd’hui en bicing. Ces petites bicyclettes blanches et rouges ont conquis la ville.
Avec la crise économique qui a ravagé les porte-monnaies, le prix élevé du métro et des autobus ont poussé certains barcelonais vers la bicyclette.
Le prix des vélos est aussi un facteur important dans ce choix. Avec l’arrivée de Décarthon..euh..Décathlon, il est devenu possible d’acquérir une bicyclette neuve pour moins de 100 euros. Le marché des vélos d’occasion a aussi participé à cette tendance et malheureusement, le « marché » des vélos volés aussi…Dans la rue, au hasard d’une rencontre, « pour 30 euros il est à toi »…et commence ainsi le cercle vicieux…
La peur du vol est d’ailleurs un frein à l’expansion de la bicyclette à Barcelone. Les vols sont très fréquents et les personnes qui les perpétuent n’ont pas de critère: ce n’est pas parce que votre monture est vieille et rouillée qu’elle est en sécurité la nuit dans la rue. Si le vélo est mal attaché (cadenas peu résistant), il se fera voler, c’est aussi simple que ça.
PS: Barcelone est la ville européenne avec le plus de Brompton (vélo pliant chic) par habitant…On peut en conclure que la ville s’est embourgeoisée malgré les voleurs!
C’est bon pour le moral …et pour la santé
Les bienfaits pour la santé de la pratique vélocipédique sont bien connus, si on évite l’EPO bien entendu! C’est un sport très complet qui permet, entre autres, de limiter le risque de maladies cardio-vasculaires. Et nombreux sont les citadins voulant se bouger un peu sans pour autant payer pour aller au gymnase ou pour faire du vélo d’appartement…
D’autant plus que des études démontrent qu’un cycliste urbain, du haut de sa selle, absorbe moins de pollution (particules fines, oxydes d’azote, de soufre, CO2…) qu’un automobiliste, même en tenant compte de l’effort fourni, poumons ouverts et langue pendante…!
Et c’est rapide
La rapidité est un autre avantage du vélo face à la voiture en ville. Des études ont montré que jusqu’à une distance de 5 km, le vélo arrive avant à destination (mais après la moto…).
L’usage du vélo est appelé à se développer de plus en plus: pratique, économique, écologique, bon pour la santé. Le nombre de boutiques louant des bicyclettes s’est multiplié en 10 ans: le tourisme vélocipédique s’est développé en parallèle du vélo urbain local.
Il est donc bien agréable de se promener à vélo à Barcelone. Ville à taille humaine, il est possible en 3 heures de temps, de parcourir de nombreux quartiers très différents, d’aller d’un bout à l’autre de la ville sans se stresser et de découvrir des endroits charmants et insolites.
En définitive, tout est là pour se mettre au rythme de cette métropole méditerranéenne.